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► Il est 2h du matin le mardi 19 décembre 1944, les deux pavloviens Kevin Spectro et Ned Pointsman sont à l’hôpital Sainte-Veronica-de-la-Vraie-Face (fictif), assis près du service des névroses de guerre (ce qui est déjà une référence à Pavlov, on le verra plus loin). Ils discutent.

► C’est un service où se trouvent les personnes qui ont été touchées par les explosions des fusées V2. Spectro sort régulièrement de la pièce pour administrer quelques piqûres analgésiques aux patients nommés par le terme générique Fox = Fox-le-malade.

► Pointsman se plaint de Ernest Pudding, ancien brigadier, vétéran de la Première Guerre mondiale, directeur de “The White Visitation” (sous les ordres de qui il travaille), qui lui demande d’aller chercher des chiens dans les ruines de V2 toutes les nuits pour leur compter les gouttes de salive. Pointsman aimerait avoir une position plus élevée pour ne dépendre que de lui-même et expérimenter sur autre chose que des chiens, des hommes bien évidemment, et plus particulièrement “son propre Fox” : Slothrop.

► Spectro “n’aime pas beaucoup ça” (le projet de Pointsman de travailler sur Slothrop), non pas pour des raisons morales, mais parce que travailler sur un seul homme n’est pas justifiable expérimentalement (il en faudrait plusieurs pour obtenir des résultats significatifs).

► Changement de temporalité, on passe à une discussion antérieure entre les deux hommes. Spectro demande à Pointsman si l’intérêt de celui-ci pour Slothrop n’est pas dû au fait que Slothrop est un ancien sujet de Laszlo Jamf (personnage fictif – a travaillé pour IG Farben avant la première guerre mondiale – sera important par la suite). Pointsman répond que ce n’est pas le cas, que Slothrop aurait de toute façon retenu son attention.

► Passage sur Pavlov. Je reprends ici ce que Weisenburger explique très bien dans son livre et qui permet d’entrer dans deux notions présentes au sein du paragraphe :

• La phase ultraparadoxale
• La notion de contraire

 

1 – Première mise au point sur les phases d’équivalence, paradoxale, et ultraparadoxale.

Weisenburger : “Selon Pavlov, l’intensité d’un réflexe conditionné dépend :
• De l’intensité du stimulus utilisé dans le conditionnement, qu’il s’agisse d’une cloche, d’un métronome, ou d’un appareil sensoriel.
• Aussi de façon importante, bien que moins évidente, de l’ampleur de facteurs inconditionnels tels que la motivation du sujet ou son état émotionnel.

Laissons le traducteur de Pavlov, Horsley Gantt, prendre le relais ici (Lectures 2: 13-14):

Au-delà d’une certaine intensité maximale, des variations peuvent conduire à certaines phases :
• La phase d’équivalence (dans laquelle les stimuli forts et faibles produisent le même effet)
• La phase paradoxale (dans laquelle les stimuli faibles donnent une réponse plus grande que les stimuli forts)
• La phase ultraparadoxale (dans laquelle les stimuli excitateurs conditionnés deviennent inhibiteurs, et vice versa).

De tels stimuli, trop forts pour donner un réflexe conditionné maximal, Pavlov les appelle des stimuli transmarginals.

 

2 – Sur la notion de contraire et la phase ultraparadoxale.

Il faut ici entrer dans le détail de la pensée de Pavlov qui s’exprime assez clairement pour ce qui concerne le lien “phase ultraparadoxale / suppression des opposés” dans un échange avec le psychologue français Pierre Janet.

Weisenburger : “Janet avait récemment publié un document sur les sentiments de persécution et de paranoïa chez ses patients [les sentiments d’emprise]. Il explique le sentiment d’emprise des patients comme découlant d’un état affaibli (provoqué par la dépression, la maladie, le traumatisme ou la terreur) au cours duquel ils sont troublés par des «idées d’opposés».

Des catégories comme la mienne/les leurs, donner/recevoir, ou le maître/l’esclave deviennent floues.

Bientôt, Janet théorise : le patient projette la douleur de ce conflit à l’extérieur, objectivant le conflit en le personnifiant dans d’autres objets. Bref, le patient devient paranoïaque, se sent persécuté.

Janet considère appropriée une thérapie psychanalytique, mais Pavlov, en sa qualité de physiologiste, plaide pour des traitements chimiques.

Pavlov considère que les «idées d’opposés», qui semblent irréfutablement liées aux fonctions de commutation, de marche/arrêt des cellules corticales, seraient confondues dans un cortex accaparé, stressé ou terrifié. Il semble donc qu’il s’agisse seulement d’une simple question de patient devenu transmarginal, comme défini ci-dessus.

Ainsi Pavlov (Lectures 2: 148, le passage en italique dans Gravity’s Rainbow est de Pynchon): « C’est précisément la phase ultraparadoxale qui est à la base de l’affaiblissement de l’idée de l’opposé de [et pas « dans » comme l’écrit Pynchon] nos patients.

► S’ensuivent des réflexions de Pointsman sur le cas particulier de Slothrop qui semble inverser la logique cause → effet (stimulus → réaction) puisque si les lieux de ses conquêtes sexuelles coïncident toujours avec les lieux de chute de la fusée V2, elles ne peuvent en être l’effet car elles se produisent toujours durant les jours qui précèdent. Dans cette logique, ce serait plutôt les conquêtes sexuelles de Slothrop qui causeraient la chute des V2…

Mais Pointsman voit les choses autrement.

Pointsman pense que Slothrop sent un évènement à venir. Pas dans le sens d’une prémonition (comme le pense même Roger Mexico qui pourtant n’est pas Psi, mais statisticien) mais, s’il fallait faire une comparaison, plutôt dans le sens de ces chiens de laboratoire qui, en pénétrant dans la salle, sentent ce qui va leur arriver parce que l’événement est d’une certaine manière déjà là, même s’il n’est pas visible, pas perceptible, pas accessible à la majorité des gens. Ce n’est jamais qu’un réflexe, selon Pointsman, auquel réagit Slothrop. “Il arrive dans un croisement, il remonte une rue, et soudain sans raison apparente…” sans raison apparente, hop, une érection. Signe de la fusée, déjà là d’une certaine manière, et pourtant à venir. C’est cette contradiction que Pointsman cherche à résoudre tout en restant dans la logique pavlovienne stimulus → réaction.

► On bascule alors sur l’abréaction (libération d’affects accompagnant la survenue ou l’évocation d’un évènement traumatique) d’un patient de l’hôpital Sainte-Veronica qui se trouvait dans un cinéma “et ce baiser de cinéma qui ne s’achèvera jamais” lorsque “le sol comme un gigantesque ascenseur sans prévenir vous lance au plafond”. Une fusée V2 vient d’atterrir sur le cinéma et a projeté le patient en l’air.

Mais ce paragraphe d’abréaction qui va de “encore une fois…” à “aube de deux heures…” est encadré par deux paragraphes qui sont liés : les enfants du Seigneur de la Nuit […] prient leur Maître : un souvenir tôt ou tard, dans cette cité glaciale [l’hôpital], déchirée… [ici se place le paragraphe abréaction] … ce saut dans le souvenir, capituler. Là où les contraires se rejoignent, où l’opposition disparaît.

► Le traumatisme fait disparaître les notions d’opposés, les contraires se rejoignent.

Janet et Pavlov sont d’accord là-dessus. Et Pointsman se demande si Slothrop se concentre sur la fusée pour la sentir déjà là (même si elle n’est pas arrivée – ce n’est pas de la prémonition) ou bien s’il s’agit d’une dépolarisation, un état de confusion névrotique similaire à celui des traumatisés qui ont perdu la notion du contraire. En résumé : concentration ou dépolarisation ?

► Puis description des pauvres traumatisés qui n’en peuvent plus de revivre sans cesse l’explosion, de ces abréactions incessantes, et “combien de fois avant que ça disparaisse”, mais avec la peur aussi de se laisser aller, de ne plus chercher à combattre la prochaine explosion mentale, et que ce soit eux qui finalement disparaissent (perdent définitivement la raison, c’est-à-dire dans ce contexte, la notion de contraire. Dépolarisés à perpétuité et plus seulement le temps d’une abréaction).

► “Et ceux qui finalement abandonnent”. Comparé à une catharsis. “De chaque catharsis naissent de nouveaux enfants, sans personnalité ni douleur… la tablette est vierge”.

C’est quand les malades en sont arrivés à ce stade de tablette vierge où toute notion de contraire a disparu qu’ils intéressent Pointsman, qu’il rêve de pouvoir travailler avec eux, même si on le lui refuse :

Comme ils intéressent Pointsman, ces chers petits. Quel désir il a d’utiliser leur innocence, sérieusement, d’écrire sur eux des mots à lui, d’y inscrire son propre rêve brûnatre de Realpolitik”.

(une note de Weisenburger sur la notion de Realpolitik : à l’origine formulée dans “Grundsiitze der Realpolitik” de Ludwig von Rochau (1853), la Realpolitik tenait son plus grand partisan dans le chancelier allemand Otto von Bismarck. La Realpolitik élève les intérêts stratégiques de l’État – sa sécurité relative – par delà la réforme intérieure libérale. Ou, comme l’a déclaré une fois Bismark : «Les grandes questions de notre temps ne peuvent être résolues par des discours et des votes majoritaires… mais par le sang et le fer» ).

► “Sainte-Veronica, c’est leur terminus”. On rejoint ici le rêve de Pirate qui entame le roman et on le comprend mieux (on peut se rappeler que l’endroit où finissaient les évacués de Londres dans le rêve avait l’odeur d’un “vieil asile longtemps inoccupé et subitement rouvert pour accueillir la foule des âmes”).

Ce que Pirate rêve, le “second sheep”, c’est ce troupeau de “pauvres palimpsestes humains qui sont là, à frissonner sous les couvertures du gouvernement, drogués, noyés dans leurs larmes et leur morve et leur douleur si réelle, surgie de telles profondeurs qu’elle les dépasse”. Les traumatisés de la fusée V2 qui ont capitulé devant l’infinie itération de leurs abréactions.

► S’ensuivent alors quelques longs paragraphes dans lesquels Pointsman décrit l’enfer des pauvres âmes qui débarquent à l’hôpital Sainte-Veronica pour s’y dissoudre. Et le docteur Pointsman de se demander comment son désir peut bien coïncider avec ces “départs” (dissolutions des âmes).

À noter que se mélangent chez Pointsman à la fois le désir d’expérimenter sur des âmes vierges et le désir pédophile de s’unir avec elles, nettement repérable en deux points : “ces chers trésors si naturellement érotiques” et “il y en aura pour venir chez vous dans votre lit qui sent le foutre”.

► Malheureusement pour lui [on sort du fantasme et on revient dans le présent], “tout ce que Pointsman peut inscrire sur son tableau de chasse, c’est une pieuvre […] qui porte le nom de Grigori.” Une énorme pieuvre sur laquelle il expérimente avec le Dr Porkyevitch et qui “frissonne dans un parc de fortune près de la jetée d’Ick Regis”.

C’est un lieu fictif qu’on peut malgré tout localiser à Lyme Regis (ville côtière située dans l’ouest du Dorset à 40 km à l’ouest de Dorchester et à 40 km à l’est d’Exeter. Sud-ouest de l’Angleterre). C’est là que se trouve The White Visitation, un ancien hôpital psychiatrique secrètement réquisitionné par la Firme qui s’en sert comme paravent (il reste d’ailleurs quelques malades pour conserver les apparences). Le service PISCES y est installé.

► Mais que peut bien faire Pointsman avec une pieuvre ? Une réponse commence à surgir… On replonge alors dans le passé. Discussion entre Spectro et Pointsman :

1. Pointsman aimerait bien que Spectro lui laisse un ou deux humains sur lesquels expérimenter. Mais Spectro lui conseille la pieuvre. Une manière de dire “Oubliez Slothrop ?” se demande Pointsman.
2. Pointsman se rappelle un collègue qui lui a conseillé de prendre un chien à lui, en dehors du laboratoire. Du coup, il a pris un épagneul du nom de Gloucester, mais la tentative n’a pas duré plus d’un mois. Le chien n’est pas capable “d’inverser son comportement”. Pas de notion de contraire sur laquelle travailler. Le chien sait ouvrir une porte mais pas la refermer. La pieuvre ne saura pas faire mieux.
3. Spectro insiste sur la pieuvre. “Leur réaction inconditionnelle devant une proie est très précieuse – vous leur montrez un crabe, WHAM ! Un tentacule part et revient. La proie est empoisonnée et digérée”. (Peut-être est-ce là le début de réponse qu’attend Pointsman sur l’intérêt de la pieuvre lorsqu’il se remémore le dialogue puisqu’on retrouvera cet épisode pieuvre/crabe plus loin dans le roman)
4. Mais durant le temps du dialogue, Pointsman ne voit aucun intérêt à la pieuvre puisqu’elle est une créature à dominante visuelle (elle a d’énormes globes optiques) alors que “toute cette histoire de Slothrop repose sur des données auditives”.
5. Spectro n’est pas d’accord. Lorsque les fusée V2 tombent, il y a une lueur, “une sphère flamboyante qui tombe comme un météore, Gwenhidwy a vu ça l’autre soir, au-dessus de Deptford” (Paroisse de Londres située à quatre milles au sud-est du pont de Londres, sur la rive sud du Tames).
6. Peu importe ; ce que veut Pointsman, “c’est un de vos petits renards”, un petit Fox. Un humain “dépolarisé” comme il y en a dans tout l’hôpital Sainte-Veronica. Ou alors Slothrop…

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